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— Ne parle pas tant, bon père, voulut interrompre la comtesse, tu te fatigues.

— C’est cela ! quand on ne peut répondre à mes arguments, on me fait taire par raison de santé. Allume la veilleuse, je veux te voir quand tu seras habillée et t’admirer, mon cher amour. Qui sait combien de temps je pourrai t’aimer encore sur la terre ? mais je te verrai de là-haut ; j’ai le bonheur de croire à l’immortalité de l’âme, et ceux qui ont bien vécu ne quittent ce triste monde que pour se réfugier dans un autre qui est meilleur.

La comtesse alluma une veilleuse. Aussitôt qu’elle l’eut déposée sur la table de nuit, la figure du moribond sortit de l’ombre défaite et véritablement effrayante à voir.

La comtesse eut beau faire, elle ne put réprimer un douloureux mouvement.

— Tu ne me trouves pas si bonne mine qu’hier ? dit le vieillard avec un accent qu’il n’est point possible de caractériser d’un seul mot.

Nul n’aurait su dire, en effet, s’il y avait là excès de simplesse ou inexplicable moquerie.

— Vous êtes un peu pâle, mon père, répondit Francesca.

— Un peu ?… répéta le colonel, qui eut un rire véritablement sinistre.

Allons, allons, fillette, reprit-il doucement, ne te fais pas d’idées trop noires. Tu ne connais pas le mystère de ma vie, pauvre ange ; tu as peut-être été jusqu’à me soupçonner parfois… Il y a des gens, vois-tu, dont l’héroïsme ressemble à l’infamie. Te souviens-tu de cette histoire américaine que tu me lisais pour m’endormir ; cette histoire d’un pauvre colporteur