Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me servir ? tu ne comprends pas, toi, n’est-ce pas ? ni moi non plus, je ne comprends pas, et quand je suis dans les rébus et charades, ça ne va pas, je ne sais plus s’il faut aller à droite ou à gauche, je ne sais plus rien ! rien de rien ! la petite n’en sait pas plus long que moi, la marquise n’en sait pas plus long que la petite, M. Germain jette sa langue aux chiens, les autres… Ah ! les autres savent. Ils ne savent que trop, et j’ai peur !

Échalot l’écoutait bouche béante.

— Bois, dit-elle, tu es tout pâle.

— C’est l’effet du malheur d’Amédée… les passions le tyrannisent, mais il n’a pas mauvais cœur. À votre santé, patronne !

— J’ai peur, répéta maman Léo, dont la physionomie accusait un désordre d’esprit extraordinaire ; je croyais que ça m’avait calmée, la chose de cette laide bête, mais non, j’ai la fièvre.

— Si vous me disiez… commença Échalot.

— Tais-toi ! le colonel a l’air d’un mort, et il y a des morts qui ne sont pas si blêmes que lui. Il ne se tient plus ; sa peau est collée à ses os, et je suis bien sûr qu’il n’y a pas une chopine de sang dans ses veines. Je parie qu’il ne passera pas la journée de demain. Tu me diras : tant mieux, c’est un scélérat. Es-tu sûr ? Il y a des moments, moi, où je le prendrais pour un brave homme, car enfin, c’est lui qui l’a voulu, nous serons tous de la noce.

— Quelle noce, patronne ? demanda Échalot, que l’inquiétude prenait.

Car il y avait de l’égarement dans les yeux de maman Léo.

— Tais-toi, fit-elle encore, je te dis que le colonel nous a invités au mariage, et je