Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je vous affirme que votre poète de choix restera au-dessous de sa tâche.

On peint l’amour, la haine, l’avidité, toutes les passions humaines, mais la fringale sans nom d’un mohican comme Similor en face de soixante ou quatre-vingts billets de banque, voilà ce qui défie toute habileté de plume ou de parole, voilà ce qui est véritablement surhumain.

Il avait vu des billets de banque aux devantures des changeurs, il les avait caressés du regard souvent et longtemps ; depuis son adolescence, l’idée d’avoir un billet de banque était pour lui un rêve plein d’attendrissement et de folie.

Il n’était pas avare, mon Dieu non, au contraire, il était prodigue au même degré que ces fils de famille qui viennent manger à Paris, en compagnie des dames rousses, le capital du papa décédé.

C’est l’esprit français, dit-on ; Similor avait l’esprit français.

Les imbéciles dont je parle, quand ils ont dévoré le patrimoine du vicomte ou du coutelier qui fut leur père, deviennent coquins ou mendiants selon le sort de leur tempérament.

Similor était l’un et l’autre d’avance, et dans quelle splendide mesure !

Il était poète, lui aussi ; il voulait mener la vie à grandes guides, ce don Juan de la boue ; il voulait éblouir le ruisseau.

Il voulait boire des océans de volupté dans son tombereau triomphal, traîné par toutes les Vénus éraillées, par tous les Cupidons galeux grouillant au fond de ces bosquets où Armide-à-la-Hotte tient sa cour galante à cent pieds au-dessous des égouts de Paris.

Ah ! c’est une grande figure que ce laid