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que de la servitude, subissant la médecine ignorante d’Échalot, grimé comme une courtisane hors d’âge, rapiécé comme un vieux manchon qui perd son poil, il avait beau être criblé d’emplâtres, et porter perruque, la mort le redressait dans son inaliénable grandeur.

Paris ne savait pas. Les lions sont rares à Paris. Paris qui parle toutes les langues était inhabile à reconnaître la dernière parole du lion.

Car c’était bien M. Daniel, le prisonnier valétudinaire de maman Samayoux, qui poussait son rugissement suprême dans la baraque abandonnée.

Loin du mont Atlas, dont la cime soutient les cieux, loin, bien loin des sables sans limites tourmentés par le simoun, où le soleil brûle le regard des hommes en réjouissant l’œil des lions, à Paris, le paradis des lionnes, des chiens bichons et du chat de la mère Michel, il mourait à Paris, lui, le roi du désert, dépouillé même de son nom comme tous les rois exilés.

Sic transit gloria mundi : Ainsi passe la gloire du monde ! Le seigneur lion décédait sans pompe ni crinière dans la peau chauve de M. Daniel.

Par le temps affreux qu’il faisait, il n’y avait personne dans les terrains de la percée nouvelle. Les rugissements du moribond s’élevaient à intervalles presque égaux, entrecoupés de profonds silences, comme éclataient, dit la légende, les appels du cor de Roland dans les gorges de Roncevaux.

Nul ne répondait, car il y a de ces bruits dont on cherche en vain l’origine et le point de départ. Chacun se demandait où naissait ce tonnerre ; personne n’avait