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de tomber chien enragé. Je lui dis : « Monsieur le juge, si dans mon idée c’était possible d’assommer les Habits-Noirs ou de les brûler, il y aurait du temps que la besogne serait faite, car ils se sont servis de moi comme d’un bourreau et m’ont forcé à tuer en m’étranglant. Mais rien ne peut contre eux, ni les coups de massue, ni le fer, ni le feu. »

Cet homme-là n’était pas de ceux qui haussent les épaules quand on leur parle. Il savait qui j’étais et je ne veux pas dire qu’il me regardait sans répugnance ; mais enfin, il m’écoutait. Sa première réponse fut celle-ci : « J’ai fait le sacrifice de ma vie. »

C’était un Corse, ils sont tous comme cela quand la vengeance les tient, et vous avez le même sang que Remy d’Arx dans les veines.

— Moi, dit Valentine, qui roula un fauteuil jusqu’auprès de lui et s’assit, je vous regarde sans répugnance : vous êtes l’homme qu’il me faut.

Le Marchef recula son siège. Il y avait sur son rude visage une expression de tristesse, j’allais dire de pudeur.

— N’en faites pas trop ! murmura-t-il. Ne soyez pas femme avec moi, je hais les femmes, j’ai peur des femmes.

— Je ne suis pas femme, je suis lionne, murmura la jeune fille d’une voix contenue, mais si profondément vibrante que le Marchef eut un frémissement : j’ai de quoi vous faire riche d’un seul coup.

— Ce serait le bouquet, grommela Coyatier, si, en fin de compte, je me laissais emballer pour l’autre monde par une demoiselle !… C’est vrai que vous êtes une lionne, dites donc ! non pas parce que vous bravez la mort pour vous venger, la