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sins, va retomber tout au fond de son malheur.

» Je viens de voir l’homme qui me remplacera ; il est de ceux qu’on appelle des gens instruits, avisés, prudents ; il a cette cruelle sagesse qui ne croit à rien en dehors des choses admises par le sens commun ; tout ce qui sort de la vraisemblance acceptée lui semble fabuleux et indigne d’occuper un brave esprit.

» Son opinion est faite par mon opinion même, dont il prendra le contre-pied ; j’étais à son sens un rêveur et il est un sage ; là où j’ai dit non, il dira oui.

» Maurice sera renvoyé devant les assises, Maurice sera condamné ; aucune éloquence d’avocat, aucune perspicacité de magistrat, nulle puissance humaine, en un mot, ne peut empêcher le jury en pareille circonstance de répondre : « Oui, l’accusé est coupable. »

» Ne nous venge pas, Valentine, laisse dormir ton père, ta mère, ton frère au fond de leur cercueil. Les morts ne connaissent plus la haine, laisse la haine, songe à l’amour, sauve Maurice !

» Pour le sauver, il n’y a qu’un moyen, l’évasion, la fuite sans espoir de retour, le changement de nom et la vie cachée loin, bien loin au-delà de la mer.

» Pour ouvrir toute grille, l’argent est une clef magique ; tu es riche, tu peux répandre l’or à pleines mains, tu ne saurais acheter trop cher ton bonheur.

» Adieu, Valentine, j’ai tenu ma plume tant que j’ai pu. Ceci est la dernière ligne que ma main tracera. Si tu m’aimes, ne me venge pas et sois heureuse ! »