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rompez plus et laissez-moi expliquer à Maurice ce qu’il a besoin de comprendre, car, dans notre situation, il est des choses que je ne saurais éclairer complètement et qui doivent être laissées à la grâce de Dieu comme le sort des malheureux menacés par un naufrage.

Elle se recueillit un instant. Quand elle parla de nouveau, ses beaux yeux brillaient d’une sérénité angélique.

— Aux yeux de la sagesse humaine, dit-elle, nous sommes si bien perdus que par deux fois nous avons cherché notre refuge dans la mort.

Au-delà de la mort, dans l’éternité à laquelle je crois plus fermement depuis que je souffre, le châtiment de ceux qui s’aimaient ardemment sur la terre et qui l’ont quittée par un crime doit être la séparation. Oh ! ne m’objectez rien, le doute ne m’arrêterait pas ; il suffit que la justice de Dieu puisse exister pour que ma résolution soit inébranlable. Je ne veux pas être séparée de Maurice ; je veux que notre serment juré ici-bas s’accomplisse dans le ciel, et, pour cela, je ne demande pas à mon fiancé de subir le supplice d’infamie, je ne lui demande pas d’attendre l’échafaud, mais je lui dis : « Ami, nous étions déterminés à mourir ; je vous apporte une espérance qui est peut-être chimérique, et je vous supplie, pour l’amour de moi, de ne point faire subir à cette espérance l’examen de raison. Elle est ce qu’elle est, extravagante ou sensée, que vous importe, en définitive, puisqu’hier encore notre dernière ressource était le partage d’une liqueur mortelle ? »