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XXIII

Maman Léo entre en campagne


Il était environ deux heures de nuit quand ce prodigieux comédien, le colonel Bozzo-Corona, sortit sain et sauf du coupe-gorge où il s’était engagé avec une intrépidité si hasardeuse.

Certes, on ne peut pas dire qu’il réussissait à tromper ses compagnons, mais entre gens qui se livrent la bataille de la vie, il ne s’agit pas toujours de se tromper mutuellement ; il est vrai de dire même que les cas où l’on parvient à tromper dans toute la rigueur du mot sont assez rares : les habiles dédaignent ce but, juché trop haut ; toute leur ambition est d’imposer le rôle effronté qu’ils ont choisi à leurs amis comme à leurs ennemis.

Ne connaissons-nous pas, dans d’autres sphères et très loin des ténébreux ateliers où les Habits-Noirs travaillent, nombre de probités avérées appartenant à d’illustres escrocs ? quantité de vaillances dites notoires, mais masquant la colique des trembleurs émérites ? et jusqu’à des talents même, ce qui semble impossible, des talents très adulés, très tapageurs, très exigeants, qui crèveraient comme des vessies gonflées de vent si la critique complice ne se promenait pas l’arme au bras devant la porte de leur salle à manger ?

Tous ceux-là ont le don ou la force de se cramponner à la place qu’ils ont conquise, de manière ou d’autre, avec de l’argent, avec de l’amour, avec de la ruse, avec de la cuisine ou tout uniment par hasard.

Ils ne trompent ni vous, ni moi, ni per-