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ble courent non seulement les établissements forains, mais encore toutes les mansardes et toutes les masures d’où sort le public qui fait vivre la foire.

Dans les veillées de ces campagnes bizarres qui sont dans Paris, mais qui sont en même temps si loin et si fort au-dessous de Paris, il y a des bardes comme en Irlande, des improvisateurs comme à Naples, des troubadours comme il y en avait dans toute l’Europe au moyen âge.

Et de même que les bardes chantent l’épée, les trouvères la lance, c’est toujours le couteau qui est au fond de la sauvage Iliade des rapsodes de la misère.

En Basse-Bretagne, vous pouvez parler des korigans sans expliquer le mot, en Irlande, des âmes-doubles, et par tout le pays Scandinave des elfes et des goblins ; sous le règne de Louis-Philippe, dans aucun hallier de la forêt parisienne, on ne vous aurait fait répéter deux fois le nom des Habits-Noirs.

Chacun savait ce que cette alliance de mots voulait dire, chacun du moins croyait le savoir, car il y avait ici de nombreuses variantes comme dans toutes les mythologies.

Mais au-dessus des variantes une chose surnageait, qui était le fond de la superstition populaire : chacun croyait à une sorte de franc-maçonnerie, constituée selon l’échelle même de la société humaine, c’est-à-dire ayant sa noblesse, sa bourgeoisie, son peuple.

Chacun croyait que les soldats de cette fantastique armée étaient innombrables, que les officiers en étaient nombreux, et que les généraux s’asseyaient, paisibles, aux plus hauts sommets de nos inégalités