Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il disait, croyant sans doute que je ne pouvais l’entendre :

— C’est un beau gaillard, et tout jeune, et déjà lieutenant après deux ans d’Afrique ! Ils s’aiment bien puisqu’ils voulaient mourir ensemble…

Sa main rude fit bruire ses cheveux hérissés comme les crins d’une brosse.

— Moi aussi j’étais un soldat, murmura-t-il d’une voix sourde, un brave soldat, et les journaux parlaient de moi comme de lui, et peut-être qu’on se souvient encore de mon nom en Afrique. C’est une femme qui a fait de moi un assassin : Je hais les femmes !

Dans sa prunelle un feu sinistre s’alluma.

Mais, tandis qu’il me regardait, sa paupière battit tout à coup et il reprit comme malgré lui :

— Celle-ci est bien belle, et je lui ai fait tant de mal !

Il s’agenouilla pour border ma robe autour de mes jambes qui frissonnaient.

— Un mot, un seul mot, dit-il encore, et je pourrais lui rendre celui qu’elle aime !

Il haussa les épaules en riant lugubrement.

J’avais compris, et vous comprenez aussi, n’est-ce pas ?

Quand on aime bien, on devine. Je savais ce qu’était Coyatier, je devinais que Coyatier avait commis le crime dont Maurice est accusé ; j’entends le premier crime, le meurtre de Hans Spiegel…

La dompteuse poussa un soupir grand de détresse, arraché par l’effort épuisant qu’elle faisait pour garder son calme.

— Ne bougez pas, maman Léo, murmu-