Page:Féval - Maman Léo, 1869.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il faut mettre sur une bouche comme la mienne.

Et s’ils n’avaient pas besoin de moi pour tuer Maurice dans sa prison, où la loi le protège comme une cuirasse, vous auriez trouvé ici non pas une folle, mais une morte.

Une autre circonstance encore, cependant, doit me protéger contre eux ; je ne puis bien la définir, mais j’en ai conscience : il y a de l’hésitation, peut-être de la dissension ; le colonel est vieux et semble très malade.

Il ne faut pas croire que je sois sans cesse entourée comme je l’étais tout à l’heure, lors de votre venue. On vous attendait, et en outre, on joue cette comédie pour la marquise. Quand la marquise est là, tout le monde se rassemble autour de mon lit, et il semble que je sois l’enfant chérie d’une nombreuse famille ; mais dès que la marquise est partie, je reste seule, bien souvent et bien longtemps, Dieu merci ! Il n’y a guère que Francesca Corona pour me tenir compagnie le soir ; dans la journée, je n’ai personne.

Vous ne pouvez avoir oublié cela : le jour même où je devins la plus misérable des créatures, le jour où Maurice fut dénoncé par moi, arrêté devant moi, j’avais donné rendez-vous à celui que nous appelions le Marchef. Vous m’aviez appris ce que vous saviez de Coyatier et vous m’aviez dit : « Prends garde ! »

Mais en ce qui me concernait, je ne croyais pas au danger. Tout cela me paraissait impossible comme les mensonges des légendes, et je me reprochais presque d’avoir frayeur pour ceux que j’aimais.