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LES CONTES DE NOS PÈRES.

En ces temps de chevalerie, l’amour était un culte, et l’enfance apprenait de bonne heure le code de cette galanterie mystique et contemplative qui est morte un beau jour, étouffée sous le poids des pédants ressouvenus de la Renaissance. Addel mit un genou en terre. La belle juive, un instant effrayée, rappela son charmant sourire, et fit un digne et gracieux salut.

Addel fut sur le point de s’élancer vers elle.

— Sainte croix ! dit à ce moment la grosse voix de Malgagnes, — ce chien de mécréant a-t-il bien l’audace de faire attendre quatre bons gentilshommes !

Addel tressaillit. Sa main laissa retomber la draperie ; son rêve était fini.

Avant qu’il pût se raviser, le valet rentra et déclara qu’il avait ordre d’introduire les quatre barons. — Addel suivit son père, non sans jeter de bien tristes regards vers la portière de soie.

— Qu’elle est belle ! se disait-il.

Maître Pointel était assis dans un vieux fauteuil de cuir à clous de fer, sans dorure. La simplicité, pour ne pas dire la misère du réduit où il reçut ses nobles hôtes, contrastait singulièrement avec la splendeur des autres appartements.

— Messeigneurs, dit-il du plus loin qu’il les aperçut, quelle circonstance vaut au plus soumis de vos serfs l’honneur de votre visite ?

Ce fut Lohéac qui répondit.

— Maître, nous venons vers toi pour traiter une importante affaire. As-tu quarante mille écus dans tes coffres ?…

— Dieu de Moïse !… c’est-à-dire sainte Vierge ! s’écria Lucifer, — qui entendit jamais parler de pareille somme ?