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LES CONTES DE NOS PÈRES.

un feu trop violent brûle de loin ? murmura Jean Brand ; cet homme n’a plus ni espoir, ni crainte, ni tendresse, ni haine ; son cœur s’est fait pierre, il est mort déjà. —

Puis, profitant de la permission donnée, il saisit sa canardière, et s’éloigna lentement, résolu à partager, le lendemain, le sort de ses compagnons d’armes.

Sainte était rentrée dans la cabane, la pensée du sort qui attendait Jean Brand gâtait sa joie. Cette joie elle-même, d’ailleurs, n’était point sans mélange. Le citoyen Saulnier et René vivaient ; ils avaient échappé tous deux, comme par miracle, aux affreux dangers de cette guerre d’extermination, mais ils allaient se trouver en présence. Le médecin bleu savait-il que son fils était revenu ? René, lui-même, n’ignorait-il point que son père combattait, en qualité de volontaire, dans les rangs des républicains ? Le hasard ne pouvait-il pas les rapprocher dans la mêlée ?

À cette cruelle idée, Sainte, tremblant de tous ses membres, se sentait mourir ; et, comme il arrive dans ces occasions, plus l’idée était terrible, plus elle était tenace, obsédante, tyrannique. Impossible de la fuir ou de la chasser.

La nuit était venue. Sainte, assise près de sa lampe, la joue pâle, les yeux fixes et mornes, voyait sans cesse devant elle une effrayante vision, et ne songeait point à dormir. Les heures de la nuit passèrent lentement, l’une après l’autre ; la jeune fille veillait toujours.

Enfin, les premières lueurs du matin firent pâlir les rayons de la lampe. Sainte, exténuée de fatigue, engourdie par l’angoisse, ferma les yeux, et le sommeil vint la surprendre.

Elle dormit bien longtemps. Depuis plus de six heures, le soleil avait franchi la ligne de l’horizon, et répandait à flots sa lumière. Sainte dormait encore.