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LES CONTES DE NOS PÈRES.

leil. Cette conduite semblait à peine exciter la surprise des habitants de Saint-Yon.

— Jean Brand, avait-on coutume de dire, fait comme il veut ; sa fille aussi : voilà tout !

Quant au citoyen Saulnier, lorsqu’il parlait de Marie, il disait :

— Il y a dans ces veines bleuâtres qui diaprent si délicatement la peau blanche et douce de cette main si fine, il y a du sang d’aristocrate !

Puis il hochait la tête.

Nous reverrons plus tard si le citoyen Saulnier se trompait.

Les deux années qui suivirent le départ de René s’écoulèrent, pour Sainte, tristes et remplies par d’inutiles efforts. Elle dépensait, à miner peu à peu le courroux haineux de son père, plus de patiente adresse qu’il n’en faut à nos diplomates pour minuter leurs amphibologiques protocoles ; elle était sans cesse à son poste, toujours prête à saisir l’occasion de placer un mot en faveur de l’absent ; mais rien ne faisait. La rancune du docteur semblait augmenter, loin de diminuer. Il était, au milieu de ces campagnes royalistes, comme une vedette de l’armée républicaine ; et plus d’une fois, ses avis amenèrent des colonnes de Bleus par delà les marais et dans le voisinage du château.

Les paysans étaient fortement irrités contre lui ; mais Sainte était si bonne ! Souvent elle avait recueilli et soigné de malheureux Chouans blessés ; plus souvent, les femmes de ceux qui étaient dans les bandes avaient dû à sa générosité le pain quotidien de leur famille. Le docteur, en ces occasions, ne mettait nul obstacle à sa bienfaisance. Il adorait sa fille, et se reposait de ses haines dans le spectacle de la perfection de Sainte.