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LES CONTES DE NOS PÈRES.

En Bretagne, où tout est matière à superstitieux pressentiments, ce nom de Sainte et la précoce mélancolie qui assombrissait aussi parfois sans motif ce radieux visage d’enfant semblaient un présage de mort prochaine. Quand elle passait, les paysans se découvraient, et les femmes tiraient leur plus belle révérence.

— Bonjour, not’demoiselle ! disaient-ils.

Puis se retournant, ils regardaient avec une naïve admiration la légèreté gracieuse de sa démarche, et ajoutaient, en se signant dévotement :

— Dieu la bénisse ! Ce sera bientôt un ange de plus dans le ciel.

En attendant, c’était un ange sur la terre. Il n’y avait pas dans tout le bourg de pauvre cabane dont elle n’eût plus d’une fois passé le seuil. Elle allait partout porter aide et consolation. La souffrance semblait fuir à l’aspect de son frais et doux visage, et les cris de douleur se changeaient, quand elle apparaissait, en murmures d’allégresse et de bénédiction.

Sainte avait une amie ; c’était la fille du ci-devant bedeau de Saint-Yon : Marie Brand. Marie, aussi belle, plus belle peut-être que sa compagne, avait un bon cœur et une tête légère. Elle était fière outre mesure, ce qui eût semblé bien ridicule chez la fille d’un pauvre paysan, si Marie, spirituelle et parlant comme on parle dans les villes, n’eût point été mieux élevée que ses compagnes. Il y avait quatre ans seulement qu’elle habitait le toit de son père. Jean Brand, qui était veuf, l’avait amenée un jour de bien loin, disait-il, sans s’expliquer davantage. Or, on savait au bourg de Saint-Yon que Jean Brand n’aimait point les questions indiscrètes.

Durant les premiers mois qui suivirent l’arrivée de Marie,