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LE MÉDECIN BLEU.

Le citoyen Saulnier avait, avec M. de Vauduy, quelques traits de ressemblance morale. C’était aussi un homme froid et sévère ; mais ses opinions républicaines, poussées à l’excès, n’étaient un mystère pour personne ; et comme les paysans des alentours, qui s’étaient déjà soulevés plusieurs fois contre la Convention, donnaient aux soldats réguliers le sobriquet de Bleus, on ne connaissait guère le docteur, depuis Redon jusqu’à Carentoir, que sous le nom du Médecin bleu. Il n’était point aimé dans le pays, parce qu’il s’était joint à diverses reprises, en qualité de volontaire, aux colonnes républicaines qui pourchassaient les Chouans ; mais on s’accordait à reconnaître qu’il était médecin habile, et son talent lui était un boulevard contre la malveillance publique.

Une autre cause encore diminuait le mauvais vouloir des paysans. Le docteur avait une fille, objet du respect et de l’amour de tous.

Elle avait nom Sainte, et entrait dans sa quatorzième année ; mais ceux qui ne la connaissaient point, en voyant son enfantin sourire et la candeur angélique de son front, lui auraient donné deux ans de moins. Parfois, pourtant, quand elle était loin de la foule, et qu’elle donnait son âme à cette rêverie que souffle la solitude, on aurait pu voir son grand œil bleu s’animer sous les cils à demi baissés de sa paupière. Sa charmante tête devenait sérieuse ; ses lèvres se rejoignaient et cachaient l’éblouissant émail de ses dents ; la ligne de ses sourcils, si noire et si pure qu’on l’aurait pu croire tracée par le pinceau d’un peintre habile, s’affermissait et tendait la courbe hardie de son arc ; tout son visage, en un mot, dépouillant l’indécise gentillesse des premières années, revêtait la pensive et intelligente beauté d’un autre âge.