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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Jouvente attendait aussi ; mais c’était fort à contre-cœur. À mesure que passaient les jours, sa solitude se faisait plus triste ; la pensée de Nielle, qui, autrefois, emplissait son âme de joie, amenait maintenant avec soi d’inquiets désirs et de douloureuses aspirations. Le soir, la lumière brillait toujours, mais Jouvente ne la voyait plus qu’à travers des larmes ; il souffrait et n’avait point de cœur ami pour prendre une part de sa souffrance. Peut-être savait-il un remède à son mal. Parfois, quand toute la largeur de la rivière le séparait du manoir de Rostan du Bosc, il se sentait venir un fier courage ; son cerveau s’exaltait ; il faisait dessein d’aller vers le vieillard et de solliciter la main de sa fille ; à moitié route, sa résolution chancelait ; il se demandait si mieux ne vaudrait point attendre Nielle sous la châtaigneraie, tomber à ses genoux et lui dire…

Mais la rive approchait ; à travers l’eau verte et diaphane, on distinguait déjà l’or du sable de la grève. Jouvente avait peur et tremblait ; les deux expédients, si aisés de loin, lui apparaissaient tout pleins de terribles difficultés ; il montait, la tête basse, les degrés de sa tour ; il demeurait morne et pensif jusqu’à la nuit. — La nuit, il s’asseyait sur sa plate-forme ; la lumière se montrait dans la chambrette de Nielle, et Jouvente, le pauvre fou, lui disait tout bas des mots d’amour.

Si bien que ses affaires n’avançaient pas le moins du monde.

L’auteur du manuscrit en langue latine exécute ici une fort habile et longue transition qui fait les délices du bon curé de Langourla ; mais l’immense majorité des lecteurs dédaigne les transitions, et nous respectons cette faiblesse d’une classe estimable à tant d’autres égards. — Passons.

Un matin, Rostan du Bosc appela sa fille à son chevet. Il