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LES CONTES DE NOS PÈRES.

Il était pâle comme on est après une nuit sans sommeil, passée au milieu des hésitations et des angoisses. Lorsqu’il avait quitté le bal de M. le marquis de Poulpry, ç’avait été pour monter à cheval et prendre au grand galop la route de Saint-Maugon. Le vent des nuits, en glissant sur son front qui brûlait, ne pouvait y mettre sa fraîcheur. Il allait murmurant de ces paroles sans suite que dicte le trouble de l’âme.

En arrivant au château, il traversa la longue suite d’appartements qui conduisaient au salon où nous l’avons vu naguère avec Roger. Là, il se jeta épuisé sur un siège.

C’était un valeureux et robuste cœur, mais force et vaillance peuvent fléchir, à condition de se relever. Bertrand demeura quelque temps comme accablé. Au bout d’une heure d’apathique désespoir, son regard tomba sur le portrait de son père, dont le fier visage semblait vivre encore et refléter de loyales pensées. Bertrand, ranimé par cette vue, retrouva courage.

Il traversa le salon d’un pas ferme, et vint se mettre à genoux devant le portrait.

— Monsieur mon père, dit-il avec un saint recueillement, priez Dieu d’avoir pitié de vos fils et donnez-moi conseil.

Les heures de la nuit s’écoulaient. Bertrand demeurait à genoux, mais il avait maintenant la force de combattre contre lui-même. Il mit son frère avant son amour, et, refoulant l’ardente protestation de sa passion, il résolut d’attirer à soi toute la souffrance, afin de laisser à Roger le bonheur.

Après cette douloureuse victoire, il se sentit plus calme. Les premiers sons du tocsin qui frappèrent son oreille au moment où il reprenait la route de Rennes jetèrent à tra-