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FORCE ET FAIBLESSE.

Lorsque Roger parvint à secouer enfin l’affaissement physique et moral qui s’était emparé de lui, ses idées se prirent à rouler confusément dans son esprit, comme il arrive si l’on est éveillé en sursaut après un pesant sommeil. Il jeta autour de lui son regard étonné.

— Il s’est passé quelque chose ! murmura-t-il enfin avec frayeur, comme s’il eût craint maintenant de renouer le fil brisé de ses souvenirs.

C’était entre deux menuets. Des couples passaient et repassaient. Entre mille voix Roger reconnut la voix lointaine de Mlle de Montméril. Cette voix, entendue, précipita le mouvement de son sang. La mémoire des faits récents envahit son cœur avec violence.

— Il l’aime ! pensa-t-il ; Bertrand ! mon frère… C’est mon frère qui me prend tout mon bonheur !

Sa tête brûlait.

— Mon frère ! répéta-t-il avec amertume et colère ; — n’avait-il pas assez de tout ce que le hasard lui avait donné à mon préjudice ?… Titres, fortune… De par Dieu ! nous sommes égaux devant cette femme ! Et je la lui disputerai, fallût-il… !

Il s’arrêta. De grosses gouttes de sueur coulaient de son front sur sa joue. Son visage décomposé annonçait le paroxysme d’une effrayante exaltation. Seul, dans un angle obscur de la galerie, abrité par l’ombre d’une colonne, il semblait un mauvais génie, égaré au milieu des splendides joies de cette fête.

À ce moment, Mlle de Montméril, appuyée sur le bras d’un brillant cavalier, montra son radieux sourire au bout de la