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FORCE ET FAIBLESSE.

— Plus belle que toutes les autres femmes, frère. Si tu la voyais !…

— Si tu voyais la mienne !

— N’ai-je pas vu tout ce que Rennes contient de beautés ? Elle brille comme une reine au milieu de toutes ses compagnes.

Roger fit un geste d’impatience.

— Nantes est plus grand que Rennes, dit-il, et celle que j’aime est la perle de Nantes.

— Rennes est le centre de noblesse, répondit Bertrand qui prenait feu sans le savoir ; — quel autre qu’un amoureux s’aviserait de comparer les marchandes du Nantais aux nobles dames qui suivent les états ?

— Mais elle suit les états ! s’écria Roger avec violence ; elle est noble, et, de par Dieu ! si tu n’étais mon frère !…

Il toucha brusquement son épée, puis, honteux de ce mouvement, il cacha son front rougissant dans le sein du capitaine. Celui-ci s’était calmé tout à coup.

— Enfant ! murmura-t-il, en jetant ses bras autour du cou de Roger. C’est moi qui ai tort, ou plutôt nous venons de faire assaut d’étourderie. Elles sont belles toutes deux, puisque nous les aimons.

Roger se releva et rendit à Bertrand son accolade, mais il restait sur son gracieux visage quelques traces de méchante humeur.

— Je veux que tu la voies ! dit-il. Je veux que tu me demandes merci comme un chevalier désarçonné ; que tu te déclares vaincu…

— Je le fais d’avance, puisque cela te plaît.

— Non pas ! il faut juger en connaissance de cause.

— Mais, objecta Bertrand, il y a loin d’ici à Nantes.