Page:Féval - Les contes de nos pères, 1845.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
FORCE ET FAIBLESSE.

— Monsieur mon frère ! répondit celui-ci avec une tendresse mêlée de respect.

— Fi ! Roger, au régiment ou devant la foule, passe encore ; mais ici, appelle-moi Bertrand, rien que Bertrand ! Les autres sont aînés et cadets ; nous sommes frères, nous !

— Oh ! oui, frères, répéta Roger, qui avait une larme dans les yeux.

Les deux jeunes officiers se prirent par la main et franchirent le seuil de la cour. C’étaient MM. de Saint-Maugon, fils de Hervé Mauguer de Saint-Maugon, chevalier, baron de Keruau, mort brigadier des armées. Il y avait six mois qu’ils ne s’étaient vus. Roger, pendant ce temps, avait tenu garnison à Nantes ; Bertrand était resté à Rennes. Or Bertrand et Roger ne s’étaient jamais quittés jusqu’alors ; ils s’aimaient comme se peuvent aimer deux frères qui n’ont plus de famille, et sont désormais tout l’un pour l’autre. La tendresse de Bertrand était forte comme son cœur, inaltérable, patiente, dévouée ; l’amour de Roger se ressentait de l’enfantine frivolité de son caractère et de l’infériorité réelle de son rang. Roger était cadet : son frère avait sur lui l’autorité d’un père. À cause de cela, Roger était plus respectueux, mais plus exigeant ; il prenait tous les droits de la faiblesse. Comme il devait obéir, il prétendait qu’on lui cédât. Cette déduction peut ne point paraître logique, mais elle est vraie, et votre puissant empire, belles dames, suffit à le prouver surabondamment.

— Tu as grandi, Roger, disait Bertrand en traversant les grandes salles du rez-de-chaussée de Saint-Maugon. — Te voilà fort, maintenant ; tu es un homme.

Roger toucha l’impondérable duvet qui commençait à poindre sur sa lèvre supérieure.