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FORCE ET FAIBLESSE.

hommes dorment dans les villas ; au château, des souvenirs veillent. Dix siècles sont derrière ses murailles : elles ont vu l’âge d’or, les jours de sincérité, de vaillance, de chevalerie, et l’âge d’airain qui jeta l’armure pour revêtir la soie, et l’âge de fer qui trancha la tête des rois, et cet autre âge enfin qui trafique, corrompt, trahit et se parjure, — l’âge de plomb où nous sommes !

Deux avenues conduisent de la plaine au château de Saint-Maugon. L’une, dont la pente est peu sensible, aboutit au pignon méridional ; l’autre, ménagée dans la direction de Rennes, suit en ligne droite la rampe abrupte et escarpée. Ces deux avenues ne sont plus marquées que par des talus. Le taillis de coupe réglée couvre uniformément leur large voie ; mais au dix-septième siècle, époque où les Mauguer de Saint-Maugon faisaient encore figure aux états de Bretagne, une quadruple rangée de grands chênes alignait ses robustes troncs le long des talus. Ces magnifiques allées, longues chacune d’une demi-lieue, gardaient au manoir son apparence seigneuriale.

Par une journée d’hiver de l’an 1683, deux cavaliers s’engagèrent presque en même temps sous les arbres dépouillés du parc. L’un prit l’avenue méridionale ; l’autre, celle qui venait de Rennes. Tous deux étaient jeunes, beaux, et portaient comme il faut le costume blanc, galonné d’argent, des officiers du régiment de la couronne. Celui qui arrivait de Rennes, montait un cheval frais qu’il maniait d’une merveilleuse façon. Il paraissait avoir vingt-deux ans ; son visage était grave et doux, son regard ferme, intelligent, intrépide. De son feutre à plumes s’échappaient les boucles abondantes d’une chevelure noire qui tombait en gracieux anneaux sur ses épaulettes de capitaine.