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LES CONTES DE NOS PÈRES.

mais Saint-Maugon dresse encore ses cinq tours grises, tout en haut de la montagne d’Ernec-le-Vicomte, à trois lieues de la bonne ville de Rennes. Son donjon, dix fois centenaire, domine toujours la plaine, comme au temps où la plaine, vassale, obéissait à Mauguer depuis Châtillon jusqu’à Saint-Hellier. La mousse, cette rouille du granit, a rongé ses murailles ; le lierre a monté de la base au faîte, pour redescendre ensuite des créneaux jusqu’au sol, multipliant d’année en année ses grêles festons, jetant une bouture dans chaque fente, couvrant chaque crevasse d’un sombre bouquet de verdure, si bien que la pierre disparaît sous son luisant et noir feuillage, comme se cachent parfois la décrépitude et la vieillesse sous les plis opulents d’un manteau de velours. Ainsi drapé, Saint-Maugon fait une vénérable ruine. Le jour, on l’aperçoit de bien loin : son aspect met au cœur du passant une vague mélancolie ; il est comme ces vieux hommes qui restent dans la vie, tristes et seuls, après avoir vu mourir leurs petits-fils : ces hommes ne peuvent point accoutumer leurs yeux de cent ans à contempler des choses nouvelles ; ils ont vu mieux que le présent ; ils regrettent ; ils ne se sont point assez hâtés de mourir. — De même l’antique manoir, débris d’un passé trop lointain, fait tache au milieu des bourgeoises villas qui s’asseyent aux croupes des collines environnantes. Il ne les connaît pas ; elles ne sont point de sa famille.

La nuit, quand la voie lactée étend au-dessus des toits aigus sa diaphane et blanche banderole, Saint-Maugon semble grandir et redresser sa gothique façade. Aux villas le soleil, à lui les ténèbres ; la nuit, il est suzerain encore, — il règne. Le voyageur s’arrête au pied de la montagne ; il regarde cette masse opaque, dont les hautains profils découpent le pâle azur du firmament ; il regarde et s’incline. Des