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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— C’est quelque chose, dit Reschine. — Sœurs, prendrons-nous la vie de la fille du juif ?

Elles se consultèrent durant la trentième partie d’une seconde.

— Sa vie est belle, pure, pleine d’avenir, et elle n’a que vingt ans, reprit ensuite Mêto ; — prenons sa vie.

— Sa vie et son sang ! ajouta Reschine.

Gulmitte ne donna point son avis, et demeura pensive.

— Eh bien, sœur ? demandèrent les deux autres fées.

Gulmitte étendit son doigt ridé vers Rachel, et dit :

— Je ne veux pas.

Chaque sœur avait droit de veto dans ce triumféminat (nous pensons qu’il n’est pas possible d’inventer un mot plus effrayant). Reschine et Mêto courbèrent leurs têtes jaunâtres en grondant, et s’éloignèrent en sautillant de branche en branche comme de très-laids écureuils. Gulmitte fit mine de les suivre.

La pauvre Rachel se tordait les mains en sanglotant.

— Addel ! mon chevalier ! disait-elle, pourquoi ne puis-je payer ton salut au prix de mon sang !

Ses yeux se fermèrent sous le poids de ses larmes.

Quand elle les rouvrit, elle vit devant elle Gulmitte, la moins hideuse des trois fées. Gulmitte la regardait ; en la regardant, elle faisait une grimace qui n’était pas jolie, mais qui exprimait une manière de compassion.

— Fille du juif, dit enfin la fée, je viens chercher ta vie.

— Oh ! prenez-la, prenez-la ! s’écria Rachel avec passion, — et qu’Addel soit sauvé !

Ce que nous allons dire n’est point un mensonge : du revers de sa main crochue, Gulmitte essuya une larme qui se promenait dans les rides de sa joue. Le dévouement est chose