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LES CONTES DE NOS PÈRES.

soudain son esprit avec tous les caractères de la réalité, s’éloignait à grands pas, et ne l’entendait déjà plus.

Rachel, suffoquée par ses larmes, se laissa choir sur le gazon, et perdit connaissance.

Elle demeura bien longtemps ainsi. Lorsqu’elle recouvra ses sens, la lune brillait au ciel. On entendait un bruit confus sur la montagne. Rachel jeta autour d’elle ses regards effrayés. Elle vit devant elle Gulmitte, à sa droite Reschine, à sa gauche Mêto. Les trois vieilles ricanaient avec une ironie pendable.

— Fille du juif, dit Gulmitte, tu as méprisé nos offres, et nous t’avons punie.

Rachel ne comprenait point. Son âme troublée avait peine à coordonner ses pensées et ses souvenirs. Elle se savait malheureuse, voilà tout.

— Tu avais mis cinq ans à rassembler ton trésor, reprit Gulmitte ; il a suffi d’une minute pour te le ravir. Le comte Addel…

— Addel ! interrompit Rachel d’une voix déchirante.

Ses souvenirs revenaient, précis, navrants, impitoyables.

— Il m’a outragée, murmura-t-elle ; il m’a délaissée, il m’a maudite !

— Il a fait tout cela, dit Gulmitte.

Et les deux autres vieilles répétèrent : — Il a fait tout cela.

Le bruit redoublait sur la montagne. C’était comme un mélange de clameurs et de ce rauque cliquetis du fer heurtant le fer.

— Aussi, tu ne l’aimes plus, reprit Gulmitte.

— Je l’aime encore ! pensa tout haut Rachel.