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INTRODUCTION.

touraient l’enclos des Filles-Dieu, au lieu où se croisent maintenant les rues d’Enghien et de Hauteville.

Il faisait nuit encore.

Comme Roméo et Juliette, Éléonore et le chevalier se réunissaient avant le chant de l’alouette matinale.

— Tiens ! reprit Lagaronnays, je deviendrai fou !… Tous les jours, en venant du quai de la Tournelle à ce quartier Saint-Denis, je traverse la rue Quincampoix… et là, c’est une féerie, vois-tu, un rêve éveillé, quelque chose qui brise la raison et tourne la tête. De l’or, des billets sur les bornes, sur les pavés, dans le ruisseau, partout !… C’est là qu’il y a des millions, Éléonore !… c’est là qu’on pourrait trouver de quoi contenter ton père !

— J’ai entendu parler de tout cela, répondit la jeune fille ; — on perd plus souvent qu’on ne gagne.

— Qu’importe, si l’on gagne quelquefois ?… Ne sais-tu pas, Éléonore, ne sais-tu pas l’histoire de M. de Montméril, qui n’est que de robe, qui arrivait de sa Bretagne avec la cape seulement, et qui a obtenu la fille unique du marquis de Bellesme… Montméril avait vendu sa cape et gagné quatre cent mille écus dans la rue Quincampoix.

— Est-ce vrai, cela ? demanda la belle Baradère.

— Vrai comme Dieu est au ciel !

— Et tu n’as rien à vendre, toi, Lagaronnays ?

Le pauvre cadet du Maine jeta un regard triste sur son pourpoint taillé élégamment, mais qui accusait déjà trop de service.

Rien ne gâte les pourpoints comme ces courses amoureuses, sous le brouillard des nuits.

— Hélas !… commença-t-il.

Éléonore ne le laissa pas achever.

Ses beaux yeux brillaient dans l’ombre, et l’émotion faisait trembler sa voix.