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INTRODUCTION.

Une fois qu’ils étaient ensemble tous les deux, et bienheureux, — mais bien tristes, — Lagaronnays s’en vint à dire :

— Un million ! sais-tu, Éléonore, je donnerais mon âme, moi, pour un million !

Éléonore lui mit sur la bouche sa belle main blanche.

— Ne blasphème pas ! murmura-t-elle.

— Un million ! reprenait Saulcy-Lagaronnays ; — où donc trouverai-je ce million ?…

— Tu ne le trouveras point, mon pauvre Henri ! soupirait la belle Baradère.

— Je ne le trouverai point, dis-tu !… Et alors je ne serai jamais ton mari, Léonor !… Et un autre viendra qui apportera le million… car il y a des gens qui ont un million !… Et ton père te dira : Je veux…

— Et moi, je pleurerai…

— Oui, oui, tu pleureras, Léonor, interrompait le cadet en secouant sa tête blonde.

— Je supplierai…

— Oui, oui, Léonor, tu supplieras !

— Je me jetterai aux genoux de mon père…

— Assurément !… tu te jetteras aux genoux de ton père… et ton père te rira au nez… ou bien il se fâchera… tu combattras, car tu es bonne, et je crois que tu m’aimes… mais ton père est le plus fort… quand tu auras résisté tout un jour, tu seras bien lasse…

— Oh ! rien qu’un jour… dit mademoiselle Baradère avec reproche et fierté blessée.

— Mettons deux jours… mettons huit jours…

Éléonore poussa un gros soupir.

Lagaronnays avait espéré une protestation plus énergique.

Il baissa la tête, et les deux amants restèrent un instant silencieux.

C’était sous les grands arbres de ces bosquets diserts qui en