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xxv
INTRODUCTION.

Bientôt le silence s’établit sur la colline de Montmartre, et l’on put entendre ce murmure sourd, vaste, profond, qui monte incessamment de la grande ville.

Ils ont eu raison, ceux qui ont comparé ce bruit, fait de mille bruits, ce bruit sans fin, inarticulé, indéfinissable, au murmure lointain de l’Océan.

C’est le souffle de l’immense capitale que l’on entend ainsi respirer, dans la veille comme dans le sommeil.

Et comme le souffle de toute créature est plus sonore dans le sommeil, on entend mieux, la nuit, la respiration du géant.

J’étais seul sur l’herbe malade que laissent croître le sable et la terre glaise de Montmartre. Il n’y avait plus un seul garde national, plus une seule épouse, plus un seul héritier.

Les voleurs, qui fréquentent volontiers, dit-on, ces lieux déserts, étaient absents et fêtaient dans les poches des promeneurs du boulevard l’anniversaire patriotique.

Montmartre lui-même, son maire, son conseil municipal, les employés de son télégraphe, Montmartre tout entier était descendu à Paris.

J’aurais pu rêver la toute la nuit sans être éveillé, si le chien du télégraphe, étonné de voir un simple particulier rester en ces lieux après le départ de tant de gardes nationaux établis, ne m’eût aboyé les plus grossières invectives.

Je levai les yeux pour m’orienter dans ma retraite, et un spectacle tout nouveau s’offrit à mes regards.

La nuit était toujours aussi noire que peut l’être une nuit nuageuse et sans lune, mais Paris se trouvait éclairé par une sorte de rayonnement propre, comme les vers luisants, ou ces poissons phosphorescents qui scintillent à la crête des vagues.

Il n’y avait plus là rien de fantastique, ni torches, ni génies : c’était tout uniment la lueur des réverbères qui s’ajoutait à l’éclat des illuminations.