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xv
INTRODUCTION.

Paris disparaissait complètement dans les ténèbres, et les points de repère que nous avons indiqués tout à l’heure se noyaient dans ce brouillard chronique, composé, dit-on, de la fumée des cheminées et des haleines des citoyens poussifs.

On ne voyait rien, sinon çà et là quelques réverbères voisins, dont la lueur rougeâtre brillait sans éclairer les objets environnants.

Le tertre lui-même était entouré de l’obscurité la plus absolue. — De temps à autre, seulement, le garde national établi frottait une allumette chimique contre le talon de sa botte, économiquement ressemelée. Il approchait la flamme de sa pipe, et l’on pouvait voir, dans un rayon de quinze mètres, trente autres gardes nationaux, également établis, avec leurs trente épouses et leurs trois cents héritiers.

De ces ténèbres, mille conversations s’élançaient. Le peuple le plus spirituel de l’univers s’entretient toujours de la pluie et du beau temps, de la supériorité du veau sur le mouton, du talent de mademoiselle Lodoïska, artiste de café chantant, et du dernier ballon qui a enlevé des jeunes personnes habillées en divinités de l’air.

Paris ne sort jamais de là. — À moins, toutefois, que Paris ne parle politique.

Et alors, bouchez-vous les oreilles, car Paris ne parle politique qu’à l’aide de son journal.

Le journal est saugrenu, assurément ; mais la manière dont Paris le traduit pour l’usage de ses entretiens politiques dépasse toute vraisemblance. C’est du haut burlesque.

Par-dessus les conversations enchevêtrées, on entendait quelques chansons de M. de Béranger, des airs de mirliton, les cris d’Adolphe, les vagissements de Célestine. (Ce sont les deux derniers du garde national.)

Enfin, on n’était pas très à son aise sur cette butte Montmartre,