Page:Féval - Les Nuits de Paris - 1880, volumes 1 et 2.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xiv
INTRODUCTION.

Impossible de mieux choisir sa place pour contempler Paris la nuit !

Paris est là, sous vos pieds : c’est un fait de toute évidence. Un fait également incontestable, c’est que la nuit vous entoure. — Seulement la nuit vous empêche de voir Paris. Sans cette circonstance, tout irait bien.

Cependant, il ne faut rien exagérer. Si l’on ne voit pas Paris, on voit son ombre, et son ombre est bien quelque chose.

C’est un spectre géant, un fantôme qui se drape dans un large manteau de brume.

Et de même que ces aventuriers de nuit, enveloppés dans le manteau couleur de muraille, avaient beau se cacher, avaient beau dissimuler leurs gestes et leur démarche ; de même que l’œil jaloux de Géronte ou de Bartholo les reconnaissait toujours ; de même notre grand Paris, voilé par son brouillard, laisse passer çà et là quelque trait saillant de sa physionomie monumentale.

On le reconnaît sans le voir.

On le devine au profil perdu d’une tour, à la courbe historique d’un dôme égaré au lointain.

À mesure que je gravissais le sentier à pic, j’entendais de tous côtés autour de moi des voix joyeuses qui parlaient marrons, saucisses, feux de couleur, serpenteaux, pétards, étoiles, enfin le pur langage de la pyrotechnie populaire.

Montmartre a le vin gai. Montmartre était à son balcon après boire. Montmartre avait eu la même idée que moi.

La route était ardue. Sur le tertre, à chaque pas on rencontrait un obstacle humain. Les familles de la banlieue aiment à s’asseoir par terre ; c’est leur goût.

Trébuchant à chaque enjambée, tantôt contre un garde national établi, tantôt contre son épouse, mère d’une grande quantité d’enfants, j’arrivai cependant au sommet de Montmartre.

La nuit était noire comme de l’encre.