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LES NUTIS DE PARIS.

La foule regardait Turnion qui en prenait à son aise, sûr désormais de son effet.

Il avait échangé un regard avec les philosophes et quelques officiers subalternes disséminés parmi les soldats.

— Quel moyen ? quel moyen ? répétait la foule.

— Sans compter, poursuivit encore le décurion, que mon moyen procurerait à chaque soldat du camp de Lutèce quelque chose comme cinq ou six pièces d’or…

La foule ondula tout émue.

— Et pour le moins une livre d’argent ! acheva Turnion.

— Quel moyen ? quel moyen ? hurla la cohue en fièvre.

Turnion se versa une rasade et répondit négligemment, tout en portant la coupe pleine à ses lèvres :

— Eh ! pardieu ! mes enfants, ne valons-nous pas les prétoriens de Rome ou les eunuques de Constantinople ?… Sommes-nous plus petits garçons que les goupillonniers de Milan ?… Ces gens-là font des empereurs… pourquoi resterions-nous en arrière ?

Un moment de silence suivit ces paroles.

— Par Mercure ! dit Léon le scutaire, — car je suis chrétien, mais Mercure n’est pas un dieu à la douzaine, puisqu’il préside au pillage régulier, — ton moyen mérite qu’on y réfléchisse, décurion…

— L’empire est entre les mains des vaillants légionnaires, insinua Chrisidès le péripatéticien.

Le stoïcien, le cyrénaïque, le platonicien, le cynique, le pythagoricien, l’épicurien, auxquels s’étaient joints un homœomérien, disciple d’Anaxagore, deux rieurs atomophages, fils des œuvres de Démocrite, trois pleureurs, maigres partisans d’Héraclite, et plusieurs pyrrhoniens applaudirent à cette belle sentence.

Tous les historiens s’accordent à dire qu’ils n’étaient pas payés pour cela. Nous ne nous permettrons certainement pas de contrarier les historiens. Seulement, nous demanderons à quelle époque,