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LES NUITS DE PARIS.

— César est un grand esprit ! dit le péripatéticien Chrisidès.

— César est un grand cœur ! ajouta le stoïcien Carondas.

Euphorbe le cyrénaïque, Harmodius le platonicien, Agathon le cynique, Cléon le pythagoricien, Thalaris l’épicurien et les autres mendiants ornés de barbes pointues qui descendaient dans leurs besaces, firent chorus et entonnèrent l’antienne de César.

Car c’était César qui nourrissait leurs vices pédants et leur paresse effrontée.

— Je saurais bien, moi, reprit Turnion, le chef de décurie, — un moyen de faire rentrer les paroles dans la gorge de l’empereur de Milan !…

— Quel moyen ? quel moyen ? s’écria-t-on de toutes parts.

— Et mon moyen, poursuivit Turnion au lieu de répondre, servirait encore par-dessus le marché à nous faire rester bien tranquillement dans les Gaules, avec nos femmes et nos enfants.

Ceci touchait principalement les Gaulois de l’armée.

On entendit cent voix rudes qui criaient en chœur :

— Quel moyen ? quel moyen ?

Il y avait foule maintenant autour de la table.

Turnion but un coup de ce bon vin qui sortait des pressoirs du mont Cétard et passa, en véritable amateur, sa langue sur ses lèvres.

Hélas ! notre mont Cétard, au lieu de raisins généreux, ne produit plus que du poussier de mottes et des pommes de terre frites.

Mais à sa base, les marchands de vin de Paris, connus par leur proverbiale loyauté, ont creusé des caves monumentales.

Et quand la police descend au fond de ces celliers superbes, les ruisseaux des alentours se changent en sources d’ambroisie.

Turnion, qui était amateur, après avoir bu cette ambroisie sincère de notre commerce honnête, n’eût point passé sa langue sur ses lèvres.

Mais la Halle aux vins n’existait pas dans le Paris du Bas-Empire.