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LES NUITS DE PARIS.

suggérer la première idée. — Peut-être que le césar avait fait distribuer avec les vivres et le vin un petit peu de politique.

Vous savez que c’est assez l’usage chez les césars de tous les temps.

Jamais ils ne sont d’humeur à perdre leurs frais.

On avait vu dans l’après-midi quelques-uns de ces hommes étranges que Julien traînait partout à sa suite, des caricatures d’anciens sages, des hommes à barbes piquantes et à besaces sales, parcourir le camp, serrer la main du soldat, et réciter même quelques rhapsodies, pour l’agrément des Gauloises qui aimaient la poésie épique.

Les nouveaux arrivants avaient rencontré bon nombre de ces philosophes de carnaval qui avaient engagé l’entretien avec les décurions et même avec les soldats.

C’étaient eux qui avaient apporté, en fin de compte, ces nouvelles de Milan, où se tenait la cour de l’empereur Constance.

Longtemps après le coucher du soleil, il y avait encore des soldats autour des tables dressées sous les tentes. Les uns buvaient, les autres causaient. Quelques-uns s’entretenaient avec leurs femmes par-dessus les murs de l’enceinte.

D’ordinaire, la discipline était sévère dans le camp de Julien ; mais ce soir-là, les tribuns et les manipulaires se relâchaient singulièrement.

Il y a comme cela des circonstances où les chefs intelligents savent doubler le prix de la piquette distribuée, en donnant largement le temps de la boire.

— Par Bacchus et sa femme ! dit Léon le scutaire, dans un groupe de Celtes et de Pétulants qui avaient bu comme des soldats d’élite ; — car je suis chrétien, c’est vrai, mais Bacchus n’est pas un dieu comme un autre… Par Bacchus et sa femme ! si l’on m’envoie en Assyrie, en Hyrcanie, en Médie, ou en tout autre pays de scélérats mariés à des troupeaux de femmes qu’ils font