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vii
INTRODUCTION.

Pour la suivre, le chemin est long, tortueux, coupé d’accidents bizarres. Ce chemin, toujours le même, traverse Paris entier.

Pour la suivre, il nous faut retourner d’abord vers les quartiers du luxe et des riants plaisirs. Car elle est belle, la jeune ouvrière. Pour sa virginité perdue, c’est bien le moins qu’un fils de famille dévore l’héritage paternel.

C’est si vite fait, et cela passe si bien la jeunesse !

Marie aura un corset de satin pour emprisonner sa taille souple et fine ; les blessures laides de l’aiguille se guériront au bout des jolis doigts de Marie.

Il ne faut pour cela que deux semaines d’oisiveté.

Marie aura des fleurs dans ses beaux cheveux blonds, un cachemire sur ses épaules, jadis si maigres.

Elle qui savait si bien sauver ses pauvres souliers des insultes du ruisseau, elle aura un coupé, bas sur roues, qui effleurera le pavé comme un traîneau moscovite.

Marie qui se tuait les yeux pour épargner la chandelle d’un sou, Marie mettra deux superbes lampes sur sa cheminée vêtue de velours.

Marie qui couchait sur la paille, auprès du grabat de sa mère, Marie aura un lit de Boule, merveille d’un art perdu, — un lit dont la seule valeur l’eût sauvée à tout jamais, alors qu’elle était honnête fille.

Qu’il est loin déjà, ce temps ! Il y a un mois que Marie a quitté la mansarde. Elle sait rire et sourire, boire du Champagne frappé, bâiller aux Italiens, derrière son mouchoir brodé, sans que nul s’en aperçoive ( et c’est le comble de l’art) ; elle sait la danse à la mode, que cette danse soit la polka, la mazurka, la redowa, la moskowiska ou la radetska. — Elle a déjà jeté deux tasses de porcelaine du Japon à la tête de son chasseur.

Aussi, M. le comte est fou d’elle.