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LES NUITS DE PARIS.

— Mon bon petit bateau ! dit-il ; — mes deux avirons !… tout y est !

Il s’assit sur le banc de l’arrière et caressa doucement le plat-bord.

Puis il se croisa les bras avec une parfaite quiétude, en murmurant :

— Patience ! patience !

Il n’était pas là depuis dix minutes, lorsqu’un Romain de haute taille parut parmi les roseaux de la rive.

À la vue du bateau, le Romain poussa un cri de joie. Il y sauta d’un bond en criant :

— Je suis sauvé !

— Patience ! grommela notre Gaulois entre deux âges.

Le Romain trancha d’un coup d’épée la corde qui retenait le bateau, et celui-ci s’en alla aussitôt à la dérive.

Mais comme le Romain se retournait pour saisir les avirons, il se trouva en face du Gaulois, qui lui dit :

— Si tu veux te laisser garrotter tranquillement, centarque, je te conduirai à mon compère Alarix, qui fera de toi ce qu’il voudra… Si tu ne veux pas, moi, je vais faire ce que je pourrai…

Corvinus ne répondit qu’en portant au Gaulois un furieux coup d’épée.

— Patience ! dit ce dernier en esquivant le coup.

Il sauta par-dessus le banc et cassa d’un coup d’aviron la tête du centarque, qui n’eut pas même le temps de murmurer :

— Je suis citoyen romain !…

Ce fut fait en un clin d’œil.

Quelques minutes après, le bon batelier Thual apportait le crâne de Corvinus à son compère Alarix.

— J’aurais voulu te l’amener en vie, dit-il ; — mais il n’a pas voulu.