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vi
INTRODUCTION.

Ils sont rouges ses pauvres beaux yeux, rouges de lassitude et aussi de larmes.

La petite croisée referme ses châssis mal joints ; la chandelle s’allume ; la jeune ouvrière se remet au travail.

Au fond de la chambre, sur un grabat dur, la mère gémit tout bas.

Le père est assis, les bras tombants, la tête penchée, abruti par ce mal inouï : la misère.

Il n’a pas d’ouvrage…

Mais c’est trop doux, ce tableau ! ce n’est pas assez parisien ! Ce n’est pas vrai.

La misère, à Paris, ne laisse pas ainsi les gens tranquilles.

On ne souffre pas comme cela tout uniment et paisiblement.

Figurez-vous plutôt le père ivre et la mère furieuse.

Figurez-vous la guerre éternelle de l’époux et de l’épouse, dans la mansarde nue.

C’est là le vrai ; c’est là l’horrible !

Des coups, sous les yeux humides de la pauvre enfant.

Des coups d’ongles, des coups de dent, comme si la haine dans le mariage faisait rétrograder la créature humaine jusqu’à la férocité des bêtes brutes, — des coups de couteau parfois.

Des imprécations, des injures hideuses.

Et l’enfant entre ces deux animaux féroces : son père et sa mère.

L’enfant qui aujourd’hui travaille encore, parce que Dieu a mis dans le cœur de la jeune fille un courage sublime.

Mais qui se lassera demain, hélas !

Et qui, après-demain, s’enfuira le cœur perdu, les yeux en larmes, la tête folle.

Et qui trouvera ce que l’on trouve toujours dans cette nuit de Paris, resplendissante et infâme : un abîme où tomber.

Faut-il la suivre après sa chute lamentable, cette enfant qui était un ange hier ?