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LES NUITS DE PARIS.

Avant de monter jusqu’à l’autel, je reprenais haleine, couché dans l’herbe verte, lorsque la déesse de ces lieux rustiques m’apparut…

— Mon histoire ressemble à la tienne, Œlian, répondit Mysœïs ; moi aussi, j’avais gravi le mont Cétard pour suspendre des guirlandes au front cornu de Cernunnos, afin qu’il soit propice à notre Julius, — si Cernunnos est plus puissant que Julius… J’avais quitté ma litière, et mes serviteurs étaient au bas de la colline… Je cherchais un banc de gazon pour me reposer, lorsque le dieu de ces bosquets se présenta soudain à mes yeux enchantés.

— Elle a seize ans à peine, dit Œlian.

— C’est à peine, répliqua Mysœïs, — c’est à peine si le duvet léger des dix-huit années commence à brunir le tour de sa joue.

— Elle est blanche comme un lys.

— Les boucles de ses cheveux blonds se déroulent au vent qu’elles parfument.

— Ses charmes naissent… Il me semblait que ces sombres réduits s’éclairaient à son pudique sourire.

— Il est fier dans sa candeur juvénile… S’il baisse les yeux, il lève le front… Phèdre dut voir ainsi, dans la forêt solitaire et muette, le superbe Hippolyte jeter la robe d’enfant et naître homme.

L’affranchi et l’esclave se regardèrent en souriant.

— Ta voix tremble, Mysœïs ! dit Œlian.

— Œlian ! tes yeux brûlent !…

— Mysœïs, tu dois l’aimer, ce dieu des bosquets ?

— Et toi, ne l’aimes-tu pas, OElian, cette champêtre déesse ?

Ils se regardèrent encore, et leur sourire répondit, à défaut de paroles.

— Oui, dit OElian, je crois que je l’aime… J’ai vingt-cinq ans… On dit que je suis beau… César m’a fait riche et libre… Eh bien ! je crois que je donnerais à Ghella ma jeunesse, ma richesse et ma liberté !