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LES NUITS DE PARIS.

— La lumière de la lune est blanche et ces feux sont rougeâtres.

Thual regarda encore un instant, puis il baissa la tête.

— Une ne suffit pas… murmura-t-il.

— Et deux ?… interrompit Alarix.

Sa main, tendue de nouveau, montrait un point brillant vers le pays des Meldes.

— Deux ?… fit Thual : — c’est peu.

— Et trois ?… dit Alarix dont le doigt désigna un feu au nord-ouest de Lutèce.

Thual redressait peu à peu sa taille robuste, mais voûtée.

À mesure qu’une nouvelle lueur paraissait, ses yeux brillaient.

Bientôt il y eut autour du bassin de la Seine, où s’étend maintenant la vaste ville de Paris, comme une ceinture de feux lointains.

Le batelier Thual semblait maintenant comprimer avec peine la joie qui voulait déborder de son cœur.

— Esus ! Esus ! s’écria-t-il enfin en frappant l’une contre l’autre ses deux mains larges et calleuses ; — Ar-Bel et Ghella, mes enfants chéris, vous aurez un beau lendemain de noces !

— Ah ! ah ! poursuivit-il en laissant à sa voix timbrée tout son éclat jusqu’alors contenu ; — les centarques et les chevaliers, les patrices et les légionnaires… les coquins de toutes sortes et de tous noms !… Ah ! ah !… ils nous ont pris nos bateaux et nos cabanes… nos lits et nos avirons… Patience ! patience ! jusqu’à demain… Tout le sang qu’ils ont dans les veines, les bandits efféminés, n’empêchera pas notre Seine de couler, belle et limpide, entre les arbres de ses bords… On dit que là-bas, le long du Tibre, ils engraissent leurs squales et leurs murènes avec de la chair de Gaulois… Eh bien ! nos brochets et nos carpes de Seine aimeront peut-être aussi la chair de Romain !… Nous leur en donnerons.

Il était ivre de joie, cet excellent batelier.