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LES NUITS DE PARIS.

vers Ar-Bel, — tu as tort de te fâcher contre moi… Je viens remplacer ton frère, qui a tant de têtes latines dans son coffre de cèdre, ajouta-t-il avec raillerie ; — je viens remplacer ton frère, parce que tu l’attendrais trop longtemps… Ton frère ne mettra point une treizième tête romaine dans son coffre de cèdre… ton frère ne prêtera point pour toi le serment paternel… ton frère ne viendra point.

— Pourquoi ?… balbutia le jeune vendangeur.

Et la foule écouta, haletante.

— Parce que ton frère est mort, répliqua lentement le centarque.

Et il ajouta en redressant sa taille herculéenne :

— C’est moi qui l’ai tué !

Un silence profond suivit cette parole.

Ar-Bel écarta d’une main sa fiancée, et mit son autre main sur la large épaule du centarque.

— Dis-tu vrai ? prononça-t-il entre ses dents serrées.

— Je dis vrai ! répliqua Corvinus.

Ar-Bel avait rejeté ses blonds cheveux en arrière. Sa tête enfantine avait changé d’expression. Un feu sauvage brûlait dans son regard.

— Alors, dit-il en arrachant le javelot à double dard de l’un de ses compagnons, — alors, je vais te tuer !

Corvinus sourit dédaigneusement et se contenta de répéter, sans même tirer le glaive qui pendait à sa ceinture :

— Je suis citoyen romain !

Ar-Bel leva le bras. Mais le batelier Thual le saisit par les reins et le rejeta en arrière.

Les autres Gaulois semblaient cloués au sol.

Pas un n’avait levé son arme.