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dant hors de propos, car la sourde panique qui agita Paris en cette année 1842 portait sur un objet pareil. La multiplicité des bandes dont les méfaits se renouvelaient sans relâche, l’exhibition répétée de ces criminels qui surgissaient en foule comme si le pavé de Paris eût recouvert une intarissable mine de brigands, faisaient revivre l’idée déjà vieille d’un séminaire mystérieux qui toujours et toujours bouchait les vides produits dans les rangs de l’armée du mal. Vautrin existait peut-être, ce génie déclassé, cette roue puissante, mais désengrenée, dont la force agissait à l’encontre du mouvement de la mécanique sociale. Il y avait peut-être un homme, ayant le bras assez long, la main assez large pour atteindre et contenir tous les malandrins de France et de Navarre, une tête assez vigoureuse pour fonder la Rome du crime, une pensée assez nette pour instaurer dans ce Vatican nouveau la grande politique des excommuniés.

Cela fut dit ; par qui ? on ne sait ; il semblerait que certaines choses sont soufflées par le vent. Une fois le premier mot tombé, l’écho des rumeurs confidentielles le ramasse et le colporte. Personne n’ignore combien les propos répétés tout bas s’entendent de loin. C’est miracle. Puis la rumeur s’enfle tout à coup un beau jour et Paris entier vibre comme un instrument de sonorité.

C’est la vraie renommée, cela ; c’est la publicité qui se fait sans les journaux et en dépit des journaux : tache d’huile magique qu’on voit grandir, grandir et englober toutes choses. Dès qu’il en est ainsi, le doute est supprimé, la certitude naît, on ne dit plus : peut-être. Vautrin existe, c’est sûr. Qui l’a vu ? N’importe. Est-ce que Vautrin se montre ? Va-t-il vous dire : Je suis Vautrin ? C’est celui-ci ou celui-là. Un soldat : que