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pas prendre la mouche ? Ce sont ceux-là qui ont des idées… outre qu’on en trouve quelquefois, comme il dit, dans les poches des vieilles affaires. »

M. Bruneau consulta sa montre.

« Vingt ans… et vingt-deux ans… murmura-t-il. À cet âge-là on a bon cœur ou jamais ! »

C’était la deuxième fois qu’il parlait ainsi. Nos deux amis avaient entendu parfaitement. La bizarrerie de la situation les prenait ; Maurice devenait curieux et Étienne concevait de vagues inquiétudes.

« Monsieur Bruneau, dit le premier en le regardant fixement, vous n’êtes pas venu pour nous conter ces sornettes, et il y a quelque chose de sérieux là-dessous !

— Tout est sérieux, répondit le marchand d’habits sans rien perdre de sa flegmatique tranquillité : le dessus et le dessous. Nous étions trois tout à l’heure dans la pièce voisine ; moi qui venais pour ce que vous allez voir et ces deux pauvres garçons. Ah ! les drôles de corps ! Nous sommes entrés tous les trois à tâtons, moi les voyant, car je regarde assez volontiers où je mets le pied, eux ne me voyant pas. J’ai cru qu’ils avaient un mauvais dessein : ce sont de si pauvres créatures ! Mais point du tout ! J’en ris encore, tenez ! Ils avaient de bonnes intentions ! Ils voulaient tout uniment poignarder quelqu’un pour votre compte, afin de ne pas rester à rien faire. Méfiez-vous de ce comique-là pour votre drame. C’est par trop parisien : Paris n’y croit pas. »

Notez que M. Bruneau ne riait pas le moins du monde.

« C’est moi, mes jeunes messieurs, reprit-il, qui ferais un personnage curieux, arrivant de but en blanc dans la chambre où deux auteurs en herbe se creusent