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ment que c’était là un des accidents inséparables du mystère, et que, toutes fois et quantes un jeune homme ne plongeait pas lui-même ses doigts dans le sang, sa délicatesse n’avait pas à souffler mot.

La lumière jaillit de la discussion, conduite avec bonne foi. La formule trouvée, la loi proclamée à l’unanimité par ces deux natures sincèrement bienveillantes, quoiqu’à des degrés différents, était celle-ci :

« Tuer, c’est des bêtises ; ça laisse des remords cuisants ; faut se borner à la ficelle, qui ne fait de mal à personne. »

Notez qu’ils ne parlaient jamais de vol, ces euphémistes ! Échalot avait eu des scrupules de conscience pour avoir emprunté le pot au lait de la voisine. L’idée d’introduire leurs mains dans la poche d’autrui les eût positivement révoltés. Mais la Ficelle ! jouer la comédie ! remplir un rôle ! déployer du talent ! briller parmi des artistes ! conquérir un grade parmi les habitués de ce bureau d’esprit : l’estaminet de l’Épi-Scié, et gagner de l’or à ce délicieux métier !

Certes, certes, Échalot était bien heureux d’appartenir à cette entreprise-là !

Et combien il faut peu de temps parfois pour changer la destinée des hommes ! Du jour au lendemain nos deux amis avaient conquis une position sociale. Ce n’étaient plus les premiers venus, des fantaisistes aspirants à la Ficelle, comme notre Étienne rêvait la gloire dramatique. Ils étaient assis, ils étaient casés, ils étaient arrivés.

Et ils en avaient l’air ! Au premier aspect, désormais, un observateur aurait reconnu qu’il avait affaire à des gens établis. Leur mine était rehaussée par la conscience nouvelle qu’ils avaient de leur valeur. Leurs costumes, sans atteindre encore à la somptuosité,