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Saladin, et Similor lui-même, jetant à Mazagran l’incendie d’un dernier regard, vint à l’ordre.

M. Mathieu n’aimait pas à attendre.

Il était seul dans une des salles de l’estaminet, assis sur une table et appuyé au mur. Au dire de tous ces messieurs, quand on le voyait ainsi à hauteur d’homme, les jambes par devant, il avait l’air de quelque chose, et il fallait qu’il eût « de ça » pour soutenir, malgré ses infirmités, la jolie position qu’il avait dans la mécanique. On le craignait et on l’admirait ; ce Richelieu mutilé d’une royauté ténébreuse inspirait aux bas officiers et aux soldats de l’armée un superstitieux respect.

L’entrée se fit en silence. Chacun regarda d’un œil oblique cette tête de pierre, encadrée de poils révoltés. Les femmes seules osèrent approcher, risquant à l’endroit de sa galanterie bien connue une attaque à la fois effrontée et timide.

M. Mathieu chérissait le beau sexe, et ce qu’on racontait de ses bonnes fortunes impossibles ne contribuait pas peu à sa gloire.

Il répondit aux agaceries de ces dames par le sourire du cynisme pétrifié. Il y a de ces têtes chez Guignol, mais une marionnette de grandeur naturelle ferait peur.

« La Fanchette a avalé son eustache, ce matin, dit-il d’un ton morne.

— Il a le mot pour rire ! murmura-t-on dans les rangs.

— Est-ce vrai, mon petit Trois-Pattes, demanda Sophie Piston avec caresse, que tu étais le bon ami de cette comtesse-là ? »

Un tic nerveux agita pendant une seconde la face de l’estropié qui répliqua d’un ton de lugubre fatuité :

« Les femmes ne manquent pas ! »