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prononça-t-elle avec lenteur. Vous pouvez tout pour l’avenir de ma fille, qui va vous être confié, Maurice ; pour moi, vous ne pouvez rien, personne ne peut rien, sinon celui qui a droit de choisir un flambeau pour éclairer cette nuit ; celui qui a souffert plus que nous, pour nous ; celui que j’ai pleuré avec des larmes de sang, et dont la résurrection m’apporte une joie empoisonnée, car, entre nous deux, il y a un abîme.

— Il vit ? » murmura Edmée.

Maurice avait déjà ressuscité celui-là dans le drame. Le drame le poursuivait, grandi à la taille d’une prophétie.

La main pâle de la baronne pressa son front qui brûlait.

« Je le sentais autour de moi, dit-elle. Bien souvent je réprimais l’élan de mon cœur comme on écarte une superstition : qu’elle soit espoir ou crainte. Mais j’avais beau faire : le pressentiment était le plus fort ; il devenait certitude et il me semblait que ce fantôme bien-aimé, ignorant le châtiment de ma vie et le fond de mon cœur, s’appelait désormais la vengeance.

« Je ne me trompais pas : j’ai été un instant condamnée par sa justice.

« J’en ai fini avec le passé, mes enfants ; reste le présent. Encore une fois, vous avez le droit de tout savoir. »

La baronne tira de son sein une lettre qui semblait froissée et humide.

Elle dit avec un triste sourire, faisant allusion à cette apparence de vétusté :

« Elle est d’aujourd’hui, pourtant !

« Elle est de mon mari, reprit-elle en affermissant sa voix par un effort violent : de celui qui reste mon mari devant Dieu. Vous êtes bien jeunes tous deux,