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On va, on vient, on flaire, on furète, on bat les taillis enchantés de la fantaisie. Il y a des idées en suspension dans cette atmosphère féconde : idées de drames pour Étienne et Maurice, idées de trucs pour Échalot et Similor. C’est un sol californien où chaque pas peut fouler une fortune. On calcule, on bavarde, on extravague : c’est dans l’extravagance que se trouve parfois le gros lot.

Puis les souvenirs arrivent, les imaginations abandonnées refleurissent, on se grise sans boire ou en buvant, selon l’état de la bourse, l’esprit bout, le caprice chante, on tue la femme…

Et certes, c’est le cas d’éditer ici ce poëme gracieux, cette idylle attendrissante et toute parisienne : la naissance de Saladin, enfant de théâtre et de carton, appelé peut-être dans l’avenir à dompter des lions, à dévorer des sabres ou à jouer les utilités avec quelque éclat sur la scène de l’Ambigu-Comique.

Le chapeau gris de Similor était plus jeune de trois ans. Échalot balayait une pharmacie borgne de la rue de Vaugirard. Similor, aimable et fait pour plaire, donnait encore des leçons de danse à la barrière du Montparnasse.

Ida Corbeau, dite Joue-d’Argent, invalide de la conquête d’Alger, vendait des citrons, des sucres d’orge et de la limonade en face du Dôme. Elle était vénérée dans le quartier et connue pour avoir de nombreuses intrigues avec les débris de nos gloires.

Ida Corbeau, ancienne vivandière de haute taille, était osseuse, déjetée, coiffée de cheveux grisâtres et mâlement moustachue. L’origine de la joue postiche qu’elle portait du côté droit et qui donnait quelque chose d’imprévu à son aspect restait un mystère.

Jusqu’alors, Échalot et Similor, se suffisant l’un à