Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Lecoq éclata en un rire retentissant.

« Parbleu ! s’écria-t-il. Et moi donc ! Il est superbe !… Pas moins vrai que tu es enfoncé, monsieur Mathieu ! »

Il pirouetta sur lui-même, et, saisissant le pavillon, il clama dedans :

« On y va ! Deux petites minutes pour dresser, parer et servir chaud ! »

Et, croisant ses bras sur sa poitrine, la tête renversée en arrière, les narines gonflées, il se retourna vers l’estropié, pensif et humble sur son coussin.

« Il n’y a plus que moi, reprit-il d’un ton sec et tranchant. L’autre est au diable ! Il était vieux ; il me gênait. Je n’aurais pas touché un des cheveux blancs de sa tête, parce qu’il était le Père. Mais il est mort, et je suis le Père à mon tour ; le général de la Camorra ; l’Habit Noir, selon le rite de la Merci, le maître à Paris, à Londres, le maître partout ! Ces deux-là qui attendent sont ma proie ; tu le sais. Mais comment va-t-on dévorer cette proie ? personne, pas même toi, n’est capable de deviner. Regarde bien, pourtant, afin d’apprendre : Je les entame par l’attente, je les brise d’avance, je les humilie, je les macère, je leur fais peur ! Cela me grandit en les rapetissant, cela me donne toute la force qu’ils perdent. J’ai l’air de bavarder, mais j’agis. Plus ils attendront, plus ils seront souples, et il me les faut souples, comme des gants de chevreau, hé ! Jadis, nous étions obligés de pateliner, comme le chat autour de la souris ; nous faisions bouche en cœur et nous courbions l’échine. Tout cela est changé. Selon les temps, le monde prend telle ou telle façon de tomber en enfance. Il était cagot, il est philosophe et devient idiot à force de craindre Croquemitaine-Calotin, Tartuffe, Basile et autres monstres de