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Placé presque au ras du parquet comme il l’était, il recevait en plein visage la lumière de la lampe, dirigée par l’abat-jour. C’était assurément une lamentable créature, mais il y avait une vigueur étrange dans le dessin de ses traits. Ses grands yeux noirs, gênés par les mèches rebelles de sa chevelure, avaient une placidité triste : on devinait dans leur expression la lutte incessante, mais résignée, contre une souffrance de tous les instants, qu’elle fût morale ou physique.

Le reste de sa figure, dont le caractère principal était une immobilité morne, empruntait à sa barbe inculte, bizarrement hérissée, une apparence farouche, et cependant les lignes de son nez, la courbe de ses lèvres ne manquaient pas de régularité.

Étant donnée la supériorité manifeste de M. Lecoq en quelque genre que ce fût, la présence de ce malheureux être, à pareille heure, dans l’antre où nous le trouvons, devait éveiller l’idée d’une possession complète et d’un véritable esclavage. Les gens comme M. Lecoq ont des outils humains qu’ils emploient Dieu sait à quoi. Mais, d’autre part, dans la physionomie de l’estropié, quelque chose, je ne saurais pas dire quelle chose, démentait cette croyance si plausible. Il ne faudrait point parler de lion à propos de ce débris d’homme, traînant derrière lui à grand’peine la moitié de son cadavre ; on n’a jamais vu de lion paralytique, mais supposez pourtant qu’il y en eût…

Trois-Pattes essuya d’un revers de main son front où il y avait de la sueur et ajouta :

« Patron, je suis bien las !

— Tu vaudrais trop cher, répliqua M. Lecoq qui se dérida, si tu avais tes deux jambes ! »

Il emplit le verre du marquis jusqu’aux bords et le