Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— As-tu de quoi dîner demain ?

— Il ne s’agit pas de cela….

— Tonnerre ! de quoi s’agit-il ? Je voudrais qu’il t’étouffe, ton art !

— Étouffât ! rectifia Maurice.

— Étouffât, si tu veux, graine d’académicien !… Veux-tu faire un drame, oui ou non ? »

Maurice prit son verre et le balança avec grâce comme s’il eût été plein de champagne.

« Je veux la gloire, répliqua-t-il, inspiré à son tour, la gloire, splendide guirlande dont je ceindrai le front de ma cousine Blanche. Je veux les bravos du monde entier pour qu’elle les entende. Je veux tous les lauriers de la terre pour en joncher sa route. La victoire, entends-tu, pour la mettre à ses pieds ! Je ne suis pas poète pour être poète, encore moins pour attirer quelques louis d’or dans ma bourse vide. Qu’ai-je besoin d’or ? Je vis de jeunesse et d’amour. Je suis poète pour aimer, pour être aimé, poète pour chanter mon culte, poète pour encenser mon idole adorée !

— Tu crois rire, toi, l’interrompit Étienne. Une tirade comme ça, en situation, enlèverait la salle !… Taisez, la claque… tous ! tous !

— J’en ferai par jour vingt pareilles, des tirades, dit noblement Maurice. J’en ferai cent, si tu veux…

— Fais en mille et va te coucher, guitare !… c’est le lièvre qui manque à notre civet… Du diable si nous avons besoin de la sauce !

— Animal vulgaire ! prononça Maurice avec une indicible expression de dédain.

— Moitié de chanterelle ! repartit Étienne. Retourne au collège, pour gagner toute ta vie le premier prix de discours français. Moi, je vois la chose en scène. Drame veut dire action : on sait son grec. Laisse-moi