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Elles sont ainsi ces vieilles amours qui sont nées avec le cœur et dont les racines vont jusqu’à l’enfance.

Edmée restait pure comme son sourire.

« Méchante ! répliqua Michel ; je t’ai dit un secret qui ne m’appartient pas et que je ne sais pas encore tout entier. Un secret qui peut tuer tout ce que j’ai de plus cher au monde après toi… après toi ou avec toi : car sais-je laquelle j’aime le mieux de toi ou de ma mère !

— Je l’aimerai autant que toi, » murmura Edmée.

Puis ses belles petites mains blanches écartèrent les cheveux de Michel comme eût fait une mère, en vérité, une tendre mère qui a bien pleuré pendant l’absence et qui admire au retour son fils plus grand et plus mâle.

« Nous sommes donc trois ! » prononça-t-elle tout bas.

Puis se reprenant et perdant son sourire :

« Mais penses-tu que moi, elle pourra m’aimer ?

— Elle t’adorera, repartit Michel, plus tard.

— Ah ! fit Edmée, plus tard ! »

Et elle resta pensive.

Les lèvres de Michel jouaient avec le bout de ses doigts.

« J’ai assez vu le monde, reprit-elle, d’en bas ou par les portes entr’ouvertes, pour savoir que, dans le monde, rien ne ressemble à notre position. Je fais avec vous, Michel, ce que nulle famille honnête ne comprendrait. Nous voici seuls et gardés seulement par ma mère endormie : vous tout jeune et vivant Dieu sait comme… car quelle est votre vie, monsieur ?… moi, folle et faible créature…

— Et sainte aussi ! l’interrompit Michel dans une caresse respectueuse. Le monde n’a rien à faire entre nous, Edmée.

— C’est pour votre mère que le monde me fait peur. »