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à me suivre, moi, artisan, fils d’artisan, toi qui étais riche et noble, c’était un jour pareil à celui-ci.

— Je me souviens, répondit Julie. Je t’aimais.

— Tu m’aimais, cela est vrai ; non pas comme tu étais aimée, car chacun a ce qu’il mérite, et c’est un culte que je te dois ; mais tu avais confiance et tu étais entraînée dans ce grand amour qui t’enveloppait. Je te promis que tu serais heureuse.

— Je t’aimais, répéta Julie, et je t’aime !… »

André prit ses deux mains, qu’il porta jusqu’à ses lèvres.

« C’étaient des bois aussi, continua-t-il, et je vois encore ce rayon de soleil que le clair feuillage laissait venir jusqu’à ton front. Ceux qui nous poursuivaient étaient implacables, et nous n’avions pour nous que la bonté de Dieu. Ce fut assez, c’est toujours assez. Te souviens-tu ? Nous entendions le galop de leurs chevaux sur la route, et il y eut un moment où la poussière, soulevée par leur course, fit un nuage autour de nous.

— Je me souviens, prononça tout bas la jeune femme. Mais, ce jour-là, je savais les noms de nos ennemis.

— Je te disais ; à cette heure-là même, en essuyant la poudre que la sueur collait à ton beau front, je te disais : « Si nous n’avons qu’un jour, qu’il soit beau, qu’il soit joyeux, qu’il vaille toute une longue vie. » Ils s’appelaient et ils se répondaient dans le maquis. Nous étions calmes ; tu souriais, tu disais, paroles adorées : « c’est ici la communion de nos fiançailles… » Et tour à tour, nos lèvres, qui venaient de partager la même bouchée, se rafraîchissaient au même breuvage.

— Je suis calme, je souris, balbutia Julie. Le passé m’importe peu ; parle-moi du présent.